Le manque de places d’examen du permis de conduire est un marronnier comme les prix de l’immobilier ou le classement des hôpitaux. Depuis le début du mois de juin, il n’y a pas un jour sans que la presse quotidienne régionale ne se fasse l’écho des difficultés rencontrées par les auto-écoles et par les candidats, ainsi que des délais de plus en plus longs pour passer l’examen pratique.
Une pénurie quasi-généralisée
Dans le Var, Manque de créneau pour passer le permis: quatre pistes pour réduire les délais (Var Matin, 20 mai); dans le Maine-et-Loire Permis de conduire : les délais n’ont jamais été aussi longs pour le passer (Ouest France, 12 juin) ; dans le Jura, Permis de conduire : ça coince dans les auto-écoles et « ça va être tendu cet été » (Le Progrès, 12 juin) ; en Bretagne, Comment expliquer les embouteillages pour repasser le permis en Bretagne (Le Télégramme, 13 juin) ; en Franche-Comté Permis de conduire : ça bouchonne dans les auto-écoles, « nous avons des places à 9h, à 9h02, tout est pris ! » (France 3 Régions, 14 juin)… partout le constat est le même : la demande de places d’examen est supérieure à l’offre.
En Île-de-France, aux congés d’été des inspecteurs s’ajoutent les Jeux olympiques et la priorisation par les BER des examens du groupe lourd. Dans certains départements la situation est critique. Ainsi, dans les Hauts-de-Seine (92), le seuil annoncé pour le mois d’août est de… 2,3.
Des facteurs aggravants : Permis à 17 ans et CPF moto
Le manque de places d’examen n’est pas nouveau, il « existe depuis 40 ans », selon Patrick Mirouse (président du Groupe ECF). Il a cependant été aggravé par deux phénomènes concomitants au premier semestre 2024 :
- l’abaissement de l’âge minimal pour passer le permis B à 17 ans ;
- l’éligibilité du permis moto au financement CPF (entre le 11 janvier et le 17 mai).
Ces deux mesures ont créé une augmentation du nombre de candidats inscrits en école de conduite et de la demande en places d’examen. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter l’évolution du nombre de passage d’examens du code de la route sur les quatre premiers mois de l’année.
Entre janvier et avril 2024, on constate une augmentation de 26% du nombre d’ETG et une augmentation de 60% du nombre d’ETM, soit en valeur 200 105 examens supplémentaires.
2023 | janv.-23 | févr.-23 | mars-23 | avr.-23 | Cumul |
TOTAL ETG | 140 779 | 168 019 | 174 388 | 158 704 | 641 890 |
TOTAL ETM | 10 456 | 12 403 | 16 911 | 15 555 | 55 325 |
2024 | janv.-24 | févr.-24 | mars-24 | avr.-24 | Cumul |
TOTAL ETG | 184 020 | 199 764 | 222 552 | 202 491 | 808 827 |
TOTAL ETM | 11 570 | 18 665 | 27 693 | 30 565 | 88 493 |
Les élèves ayant passé leur examen théorique au printemps ont désormais fini leur formation de conduite et vont devoir être présenté aux examens pratiques (selon les catégories).
L’échec de la loi Macron et du rapport Dumas
La loi Macron de 2015 se donnait pour objectif de réduire à 45 jours le délai pour une présentation (ou représentation) à l’examen pratique. Si l’on en croit les visuels publiés à l’époque par le Ministère de l’Intérieur, cette réduction des délais devait se traduire par un « permis moins cher » de l’ordre de 200€ par mois gagné.

Près de 10 ans plus tard, les belles promesses se sont envolées… Ni les mesures mises en place par la loi Macron, ni celles préconisées par le rapport de la Députée Dumas (2019), n’ont permis de réduire les délais de présentation et encore moins le prix du permis de conduire.
De nouvelles solutions à trouver
Le Président Mitterand avait l’habitude de dire que contre le chômage, on avait « tout essayé ». Peut-on en dire autant au sujet des places d’examen ? Clairement pas ! Depuis 10 ans, les solutions mises en place par le Ministère se sont résumées à :
- d’une part, augmenter de manière homéopathique1 le nombre d’inspecteurs et à faire appel à des renforts d’examinateurs, issus de La Poste ;
- d’autre part, modifier le mécanisme de répartition des places avec RDVPermis. La plateforme étant censée « responsabiliser » les candidats et réduire le nombre de places « gaspillées ».
Si l’on souhaite régler ce problème de manque de places de manière durable, il est nécessaire de réfléchir à d’autres solutions.
Des idées nombreuses et variées
Les idées ne manquent pas. Elles sont plus ou moins pertinentes et plus ou moins réalistes. Nous allons tenter d’en dresser ici un panorama.
Privatisation totale
Le première est la privatisation totale des examens pratiques. Il s’agit d’une option défendue par Edouard Rudolf, le fondateur d’En Voiture Simone, par la FENAA (Fédération des enseignants et Auto écoles d’Avenir) et par certains gérants d’auto-écoles traditionnelles (relativement minoritaires).
Cette option est rejetée aussi bien par les organisations professionnelles représentant les auto-écoles et à plus forte raison par les syndicats d’inspecteurs (SNICA-FO et UNSA) qui en font une ligne rouge absolue.
La privatisation des épreuves pratiques risque d’entraîner une explosion des cas de fraude, comme c’est déjà le cas pour l’examen théorique. Opposé à la mesure, Bruno Garancher (président de l’Unidec) rappelle qu’entre 1924 et 1972, les examens du permis de conduire étaient réalisés par des salariés de l’UNAT (Union Nationale des Associations de Tourisme)… avec de nombreuses dérives à la clef.
Privatisation partielle
Il s’agit d’une solution hybride défendue par Karl Raoult, vice-président du réseau CER et gérant du groupe CER Rouen Normandie. Son principe est le suivant : le premier passage de l’examen resterait sous la supervision d’un IPCSR. En cas d’échec dû à une faute grave, le candidat serait tenu de repasser l’examen avec un IPCSR.
Cependant, les candidats qui échoueraient pour une ou plusieurs fautes mineures ou par manque de points, auraient la possibilité de repasser l’examen dans un centre privé (moyennant le paiement de la présentation).
Cette proposition a été transmise à plusieurs députés… avant la dissolution.
Relever le niveau d’exigence
Il s’agit d’une proposition de Patrick Mirouse (ECF) pour qui il faut « arrêter de mentir » aux élèves « en leur faisant croire qu’ils peuvent passer le permis après une formation de 20 heures de conduite seulement ». Ce constat est partagé par les syndicats d’inspecteurs (UNSA-SANEER et SNICA-FO pour qui « le véritable fléau c’est le taux d’échec à l’examen ! »).
Selon Patrick Mirouse, il faudrait instaurer une formation de 30 heures au minimum, et « imposer une évaluation finale sur simulateur et conditionner l’inscription à l’examen de l’élève à la réussite de cette évaluation ».
Instauration d’un examen payant
Seuls les plus anciens s’en souviennent mais jusqu’au 1er septembre 1998, passer le permis était payant en France. Le paiement d’un timbre fiscal de 250 francs (l’équivalent de 58€ en prenant en compte l’inflation) était nécessaire pour la délivrance du titre.
Réinstaller une telle mesure – sous la forme d’un timbre fiscal électronique – rapporterait sur une année pleine l’équivalent de 120 millions d’euros (plus de 2 millions d’examens pratiques sont passés chaque année, toute catégorie confondues). Le paiement aurait lieu une fois au moment de la délivrance du titre et non à chaque examen passé… ce qui serait une mesure anti-sociale (comme souligné à juste titre par SNICA-FO dans une note de 2019).
Ces recettes fiscales permettraient de recruter des inspecteurs du permis de conduire de manière beaucoup plus importante et permettrait même de dégager un excédent fiscal pour les comptes publics. C’est la seule qui permettrait à la fois de réduire les délais de présentation (donc le coût du permis) et de maintenir l’organisation des examens dans le service public.
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1 Selon les données publiées dans le rapport du CSER du 8 janvier 2024, 105 inspecteurs seront recrutés sur l’année 2024 (dont 6 DPCSR), soit un peu moins d’un inspecteur supplémentaire par département.