« L’auto-école fait sa révolution » : entretien exclusif à l’occasion du Congrès annuel du CNPA (2-4 juillet)

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Patrice Besonne - Lorenzo Lefebvre - 57e Congrès CNPA ESR

La branche Éducation et Sécurité routière du CNPA (Conseil National des Professions de l’Automobile) organise son 57ème Congrès au Grand Palais de Lille Grand Palais du 2 au 4 juillet. Nous sommes allés à la rencontre de Patrice Bessone et Lorenzo Lefebvre, respectivement Président et Vice-président de l’organisation professionnelle. Le long entretien qu’ils nous ont accordé a été l’occasion de présenter les défis qui attendent les écoles de conduite dans les années à venir, ainsi que les solutions pour les aborder au mieux. Ces solutions seront présentées et débattues à l’occasion de ce Congrès à Lille, en fin de semaine.

[PermisMag] Bonjour Patrice, bonjour Lorenzo, ce 57ème Congrès du CNPA sera intitulé « L’auto-école fait sa révolution ». Vous n’êtes pourtant pas des révolutionnaires. Quelle est votre vision du métier et quels sont les grands enjeux auxquels les écoles de conduite seront confrontées dans les années qui viennent ?

[Patrice Bessone] Ce n’est pas une révolution dans le sens de la Révolution française ou de la Révolution russe, c’est l’idée de la révolution dans son sens premier. En latin, revolvere signifie « faire un tour », « revenir en arrière ». Il s’agit pour nous de revenir aux fondamentaux. C’est un clin d’œil lorsque l’on regarde les 7 ans que l’on vient de vivre ! On a entendu dire que l’« espace professionnel » (le local auto-école, NDLR) était has been, que ce n’était pas là que se situait l’avenir des écoles de conduite. Aujourd’hui, on voit que c’est l’inverse ! On voit émerger des nouvelles technologies, qui vont être efficaces pour l’apprentissage de la conduite – que ce soit le simulateur, la réalité virtuelle, les échanges collectifs, les jeux de rôle en impression virtuelle, etc… Ces nouvelles technologies ne peuvent se mettre en place sans un local.

L’école de conduite de demain passe donc, selon vous, par du présentiel et du matériel, par opposition au tout-logiciel et au 100% online.

[PB] Aujourd’hui, on le voit comme ça, ces nouvelles technologies sont « captables » par des entreprises comme les nôtres. Aujourd’hui, on a tendance à penser que l’asynchrone (les cours enregistrés, sans formateur, NDLR) est LA solution. Ce qui est complètement faux ! L’asynchrone est un outil que l’on peut utiliser quand, au préalable, il y a eu une formation en présentiel. Il est important d’avoir une intrication entre le présentiel et le numérique. Les formations en présentiel ne se réduisent plus à un face-à-face pédagogique. Elles sont basées aujourd’hui beaucoup plus sur de l’échange et sur du débat. Les expériences immersives et les simulations de toutes sortes sont la clé de la formation de demain. Et, pour les mettre en place, il faut de l’espace. La « révolution », c’est affirmer que ceux qui prédisaient la disparition du local se sont trompés : le problème n’est pas l’espace, l’espace est la solution.

[Lorenzo Lefebvre] Il n’y a que dans une auto-école de proximité avec un local que l’on peut associer à la fois un formateur, du simulateur et de l’apprentissage « online ». L’apprentissage uniquement basé sur l’asynchrone, ça ne marche pas ! C’est utile pour apporter un complément de connaissances, pour expliquer un mode d’emploi, pour apporter des précisions sur l’utilisation d’un outil déjà maîtrisé, pour faire des tutos, etc. Ce n’est pas possible d’y avoir recours exclusivement pour l’apprentissage de la conduite.

En quelques sortes vous voulez allier le meilleur des deux mondes : le présentiel et le distanciel, le physique et le numérique, la proximité et la technologie.

[PB] L’auto-école d’aujourd’hui doit se tourner vers demain, elle doit adopter les nouvelles technologies à sa disposition pour permettre aux jeunes d’avoir les meilleures compétences en termes de sécurité routière. L’école de conduite a pour mission et pour ambition de permettre au jeune d’obtenir le titre administratif qu’est le permis de conduire, mais elle doit aller au-delà ! La sécurité routière de demain sera obligatoirement complexe. Il y aura de plus en plus de personnes qui vont rouler sur des réseaux de moins en moins extensibles. Il va falloir un partage de la route, développer une intelligence de conduite, etc… tout cela doit être prévu par un vrai apprentissage, en amenant des vraies compétences, tout en restant abordable pour les jeunes et respectueux de l’environnement.

L’avantage des nouvelles technologies c’est qu’elles sont décarbonées. Elles permettent de réduire des coûts qui sont incompressibles lorsque l’apprentissage se fait sur un véhicule. Il est donc important que les auto-écoles se tournent vers ces outils qui sont à la fois des outils de haute compétence pour les jeunes et qui permettent de modérer les coûts des formations.

Les plateformes essayent parfois de ringardiser les écoles de conduite dans leur communication. Les réflexions que vous menez visent à redonner « un coup d’avance » aux écoles de conduite de proximité ?

[PB] Les plateformes se sont infligées un plafond de verre qu’elles ne pourront pas passer. On ne joue plus sur le même plan de projection. Les auto-écoles doivent se tourner vers les meilleurs outils qui se feront demain et on sait qu’il faut de l’espace pour les mettre. On sait qu’il faut des lieux d’échange pour ces nouveaux outils. On n’est plus sur le même paradigme.

Vous avez dit précédemment que le permis de conduire devait être « abordable pour les jeunes ». Son financement est l’un des enjeux majeurs dans les années à venir. Le CPF prend une ampleur importante. Certaines auto-écoles font désormais la plus grande partie de leur chiffre d’affaires grâce au CPF. Le CNPA demande la portabilité du compte CPF au sein de la famille nucléaire. Où en est-on sur ce dossier ?

[PB] La formation a un coût. Les nouvelles technologies ont également un coût, un coût d’acquisition mais aussi un coût de formation des enseignants. Ces coûts devront être répercutés sur les prix des formations. C’est le prix à payer si l’on veut des conducteurs bien formés pour affronter les défis de la sécurité routière de demain. La « révolution » que nous voulons consiste aussi à trouver les moyens d’absorber ce coût. La solution passe par le fait de trouver des financements. On aurait pu imaginer que ce soient les constructeurs qui financent le permis en même temps qu’ils vendent de la voiture, je pense qu’ils n’en ont pas envie. On aurait pu imaginer que ce soit l’Etat qui prenne à sa charge cette formation, mais il n’a pas envie de rajouter des impôts supplémentaires. Il reste une option sur laquelle on travaille depuis 3 ans, c’est le Compte Personnel de Formation. Aujourd’hui, toutes les personnes qui travaillent possèdent un CPF et peuvent financer leur formation au permis. Nous voulons aller plus loin et ouvrir cette éligibilité y compris à leurs enfants.

Toutes les propositions sont sur la table et tout est écrit, il nous manque un feu vert politique. Pour l’instant nous ne l’avons pas. On continue à travailler en ce sens avec les différents interlocuteurs. Le Ministère de l’Economie à Bercy semble favorable à cette idée. Aujourd’hui, il y a un blocage qui vient du Ministère du Travail qui craint un débordement. Il faut qu’on arrive à démontrer davantage encore que les bénéfices de cette ouverture iront avant tout aux jeunes et à la sécurité routière en premier. Cela prendra du temps mais nous sommes confiants.

J’aimerai évoquer un autre sujet dont on parle beaucoup depuis le déconfinement et la réouverture des écoles de conduite : la pénurie de places d’examen. Elle semble généralisée à l’ensemble des départements.

[PB] C’est vrai, et nous travaillons sur ce sujet également. Nous avons fait des propositions techniques au Ministère, des propositions pour le court terme. Après, on a également une réflexion sur le plus long terme qui vise à moderniser, dépoussiérer, toiletter ce qui existe depuis 30 ans. Par exemple, sur la nécessité de repasser le code après 5 échecs à la pratique. Quelle est la cohérence derrière ? Si un élève échoue 5 fois c’est qu’il a des lacunes en pratique, il vaudrait mieux imposer une formation complémentaire. Le Congrès qui se tiendra à Lille la semaine prochaine servira à réfléchir, ensemble, sur ces points. Toutes les propositions seront les bienvenues. Notre seul guide doit être d’aller vers plus de cohérence, au profit des élèves !

Vous annoncez la venue d’invités prestigieux cette année, ce sera l’occasion de faire passer des messages. Lesquels ?

[PB] Tout à fait, nous avons la chance de pouvoir compter sur la présence de Xavier Bertrand, qui s’est porté candidat aux prochaines élections présidentielles. Je sais que c’est quelqu’un qui est très attaché au financement du permis de conduire. Il a fait beaucoup dans sa région, les Hauts-de-France. Son diagnostic et sa vision seront intéressante.

Nous aurons également la présence de la Déléguée interministérielle (Marie Gauthier-Melleray, NDLR), avec qui nous devons avoir une discussion technique. Il faut que l’on avance sur la question des places d’examen, que l’on arrive à apaiser le travail des écoles de conduite, en lien avec les jeunes et avec les inspecteurs.

Enfin, le Ministre Alain Griset nous a confirmé sa venue. Nous évoquerons ensemble la question du financement. Le financement est la chose la plus importante, si l’on veut garder un système équitable. On peut faire abstraction de la question du financement et considérer que le droit à la mobilité se fonde sur le patrimoine de la personne. Selon cette logique, seuls les plus riches pourraient être mobiles et obtenir les compétences leur permettant de rester en vie. Ceux qui ont moins d’argent, seraient soit exclus de la mobilité, soit contraints d’avoir des formations low cost. C’est quelque chose qui me dérange.

Au CNPA, on prône un « nouveau monde », solidaire, dans lequel l’accès au financement ne repose plus exclusivement sur les élèves. La question est celle du fléchage du financement. Aujourd’hui, on a le permis à 1€ par jour, qui est un financement de la classe moyenne (les banques prêtent aux enfants dont les parents travaillent et qui sont solvables, NDLR). À côté de cela, on a un maquis d’aides portées par les Conseils régionaux, départementaux, les communes avec les « Bourses au permis », Pôle emploi, etc. Tout le monde vient piocher dedans. Au CNPA, on ne pense pas que cela soit équitable. Ce qui est équitable c’est d’essayer de porter des financements pour les classes moyennes (que ce soit le permis à 1€ par jour, la portabilité du CPF, etc.) tout en faisant en sorte qu’ils ne puissent plus utiliser les financements qui seront réservés aux jeunes en grande difficulté. Ces jeunes en difficulté ont besoin d’aides spécifiques et souvent supérieures à ce qui existe actuellement. Ce n’est pas avec 500€ d’aide qu’un jeune qui n’a pas de ressources peut payer son permis, il a besoin de 2000€. Nous avons proposé la création d’une commission départementale dans laquelle siégeraient les associations qui s’occupent de ces jeunes. Nous sommes prêts à apporter la contribution nécessaire, en termes d’évaluation par exemple. Et après on s’occupe de ce jeune et on le suit. Aujourd’hui, il y a des choses scandaleuses, des aides qui sont dilapidées… sans aucun suivi. Il faut rassembler tout le monde, les associations sur le terrain, les collectivités qui financent et les écoles de conduite au milieu, en tant qu’intermédiaires.

Une autre pénurie qui pénalise fortement les écoles de conduite est le manque d’enseignants salariés.

[LL] La pénurie de moniteurs, elle est due au manque de financements des formations. On s’est posé la question suivante « comment l’auto-école de demain doit-elle recruter ? ». Auparavant, il y avait le BEPECASER, chaque année, en juin on attendait que les promotions sortent et on choisissait un enseignant pour qu’il vienne travailler avec nous. Avec le Titre pro ECSR, il y a plus de sessions mais il n’y a pas plus de moniteurs qui sortent, même un peu moins car la formation est plus chère et peu financée car les auto-écoles font peu de démarches auprès de Pôle emploi. Les auto-écoles attendent que les Titres pro sortent pour essayer de les démarcher, sauf qu’ils sont souvent déjà embauchés avant même de sortir de formation. Aujourd’hui, on a un outil qui se combine parfaitement avec le titre pro, c’est le contrat de professionnalisation. On peut faire un contrat pro de 18 mois, à un coût réduit. Au bout de 4-5 mois, l’enseignant peut donner des cours avec une autorisation temporaire restrictive d’enseigner. Ce contrat pro, il est très avantageux. Cela coûte moins cher pour les auto-écoles, mais elles n’ont pas encore l’habitude d’y avoir recours. L’auto-école de demain, elle devra choisir un candidat qui souhaite devenir enseignant, l’accompagner, le mettre en formation.

C’est à l’auto-école de faire la promotion du métier. Il faut qu’on prenne cette responsabilité. Il ne faut pas attendre que l’Etat (Pôle emploi) fasse la promotion du métier et finance les formations de nos moniteurs. On s’est rendu compte qu’en attendant après l’Etat, à chaque fois qu’il y a une hausse de l’activité, la pénurie apparaît très vite. Aujourd’hui, l’OPCO Mobilité finance les contrats de professionnalisation et les formations. Il faut penser à cette nouvelle façon de faire, qui est bénéfique est assez vertueuse. On fait entrer un jeune dans le métier, on lui apprend le métier. Au Congrès, nous expliquerons comment marche le contrat de professionnalisation et comment le mettre en place.

C’est une partie du problème, ne pensez-vous pas que la pénurie soit en partie liée à la concurrence déloyale des plateformes ?

[PB] Le turn over a toujours existé et il existera toujours. Le métier n’est pas simple. On travaille quand les jeunes sont disponibles : le mercredi, le samedi et pendant les vacances scolaires. C’est un métier qui demande beaucoup d’énergie, de la patience, de la répétition et une vigilance de chaque instant sur des situations qui sont changeantes.

Il faut des rémunérations qui soient à la hauteur. On rejoint sur ce point la question du financement du permis de conduire. Depuis 15 ans, depuis Dominique Bussereau, l’État dit que le « permis doit être moins cher ». Ce qui se passe c’est qu’il y a un effondrement du prix. Depuis l’arrivée de l’euro, le prix du permis a été multiplié 2 alors que tous les autres produits ont été multipliés par 7. Pour proposer des formations moins chères, les auto-écoles sont obligées de limiter les investissements et les hausses des salaires. Si on veut limiter le turn over, il faut pouvoir résoudre le problème du financement des formations. On ne devrait pas avoir peur de dire qu’une formation au permis coûte entre 1800 et 2000€. C’est le coût minimum et cela permettrait de payer correctement tout le monde.

[LL] Le vrai problème, ce n’est pas les enseignants qui vont vers les plateformes. Le problème c’est ceux qui quittent le métier. J’ai un centre de formation. Quand on voit la publicité que font les plateformes, c’est qu’eux aussi manquent d’enseignants.

Aujourd’hui, il manque un ciblage des demandeurs d’emplois. Il manque l’accompagnement par des professionnels. Les jeunes enseignants découvrent le métier en sortant de formation et parfois ils sont déçus, pour différentes raisons… S’ils avaient été mieux accompagnés, cela pourrait être évité.

Et sur la concurrence déloyale ?

[LL] Le fait qu’ils ne respectent pas les mêmes règles est gênant. On parle beaucoup de RSE, notre modèle en tant qu’auto-écoles traditionnelles est un modèle vertueux. Qu’est-ce que l’on veut ? Et surtout que va vouloir le prochain Président de la République ? Une sécurité routière low cost ou une éducation routière de qualité ? C’est la vraie question. Le low cost, les auto-écoles elles peuvent faire, elles sauraient le faire… mais on ne pense pas que ce soit souhaitable.

[PB] On s’est battu sur ce point et on continue à se battre dessus. Cela ne fait pas l’objet d’une bataille réglementaire. Pour nous, la bataille réglementaire, on l’a gagnée. Les textes n’ont pas changé, ni pour le local et l’agrément, ni pour le fait que les enseignants doivent être salariés. Faire du low cost est très simple, il faut une bonne logistique, on l’a. S’il faut prendre des indépendants, les écoles de conduite pourront le faire ! S’il faut prendre des voitures d’occasion, on peut le faire ! Comme l’a dit Lorenzo, est-ce que c’est ce qu’on souhaite, que la formation au permis devienne un produit de consommation ? Avec l’auto-école fait sa révolution, on dit le contraire, on prend le contre-pied. On dit qu’il faut une sécurité routière de qualité et équitable. On part du principe que la mobilité est un droit, et qu’elle permette la sécurité pour tous sur la route.

« L’auto-école fait sa révolution » c’est à la fois se tourner vers les outils les plus modernes, trouver les financements et intégrer la solidarité. La RSE pour une auto-école c’est flécher les jeunes en grande difficulté pour les envoyer vers une commission ad hoc. C’est enfin garder des salariés et leur assurer un niveau de rémunération satisfaisant. Les indépendants sont les nouveaux esclaves du nouveau millénaire. On ne rentre pas dans ce schéma-là. L’auto-école fait sa révolution c’est tout ça.

On doit rendre à la proximité, ce que la proximité nous a donné par des actions solidaires. C’est à la fois très vaste et très concret, très pragmatique. C’est n’est pas quelque chose qui se réduit au low cost, au tout-internet. Ça va bien au-delà. C’est ce qu’on va démontrer à l’occasion de ce congrès, on a travaillé pour cela. Donc il faut venir !

Informations pratiques

Le 57ème Congrès du CNPA se déroulera les 2, 3 et 4 juillet à Lille Grand Palais au 1 Boulevard des Cités Unies 59777 Lille.

Programme : Télécharger

Renseignements et inscription : https://cnpalille2021.eventmaker.io/


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