[Manque de places d’examen] Pénurie généralisée et délais qui s’allongent

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Partout en France, les responsables d’auto-écoles alertent le gouvernement et dénoncent un allongement « insoutenable » des délais de passage du permis de conduire. Nous avons essayé de comprendre les raisons du manque de places d’examen et d’évaluer si la réponse du Ministère de l’Intérieur était à la hauteur de l’enjeu. Pas de suspens inutile, la réponse est « NON » !

Un allongement des délais constaté dans quasiment tous les départements

Les auto-écoles de plusieurs départements tirent la sonnette d’alarme face aux délais d’attente qui s’allongent pour passer l’examen pratique du permis de conduire. Dans Le Journal de Saône-et-Loire, la déléguée du syndicat UNIC Sylvie Mougin décrit une situation devenue critique : « c’est de pire en pire » s’exclame-t-elle, évoquant la pénurie d’inspecteurs du permis qui crée des casse-têtes pour attribuer des dates aux élèves. Un chiffre illustre cette tension : « À Chalon-sur-Saône, il y a six mois d’attente pour une première présentation et un an en cas d’échec », rapporte la gérante. Faute de places d’examen suffisantes, les élèves repoussent à plus tard leurs leçons de conduite ce qui prive les écoles de conduite de chiffre d’affaires. Certaines se disent au « bord du gouffre », les candidats refusant de payer plus de leçons en attendant un passage incertain.

La tension sur les places d’examen concernait jusque-là principalement les départements d’Île-de-France (92, 94 et 95). Elle touche désormais la quasi-totalité du territoire français. En Côte-d’Or, « c’est le gros embouteillage en Bourgogne pour passer son permis en ce moment ! Plusieurs mois d’attente en Saône-et-Loire, une situation qui se dégrade aussi » rapportait France Bleu en avril 2025. Dans la Creuse, même constat : « Il faut être patient pour passer le permis de conduire de nos jours. Partout en France, les délais s’allongent. En Creuse actuellement, un élève qui rate l’examen doit patienter deux à trois mois avant de pouvoir le repasser ». Le Républicain Lorrain rapporte qu’en Moselle (Grand Est), les six auto-écoles du secteur de Rombas-Ennery ont monté un collectif pour alerter la préfecture d’une situation jugée « alarmante », avec plusieurs mois d’attente. Des délais inacceptables pour les professionnels. De manière générale, presque toute la France est touchée par cette pénurie : dans le Sud-Ouest, des auto-écoles avouent « avoir honte d’annoncer les délais » à leurs élèves tant ils sont longs, dans le Lot-et-Garonne, une gérante déclare à La Dépêche qu’elle ne connaît aucun collègue « qui ne soit pas en stress ou en dépression ». En Bretagne les médias locaux parlent d’un véritable parcours du combattant pour obtenir une date d’examen. Partout, les tensions sont vives et certaines auto-écoles sont même victimes de violences verbales et parfois physiques.

Pour Patrick Crespo, le président du Réseau CER « on n’a jamais connu un tel engorgement ». Ce dernier qualifie la situation de « dramatique » et « critique ».

Permis à 17 ans, conduite accompagnée et manque d’inspecteurs : les causes d’un engorgement sans précédent

Plusieurs facteurs expliquent ce manque de place d’examen. Le principal choc provient de la réforme abaissant l’âge du permis de 18 à 17 ans. Entrée en vigueur le 1er janvier 2024, cette mesure a suscité un afflux massif de jeunes candidats dès l’année 2024 : près de 300 000 jeunes de 17 ans ont passé l’examen pratique en 2024, soit 33,7 % d’une classe d’âge complète selon les chiffres de la DSR qui parle d’« un succès qui dépasse les attentes »… chacun jugera ! Un tel surcroît de candidats a entraîné mécaniquement une augmentation du besoin de places d’examens, sans que l’organisation ne s’y adapte immédiatement. « Les retombées de cette réforme se sont répercutées sur l’ensemble du territoire, avec des hausses importantes d’inscriptions impactant directement la disponibilité des inspecteurs. On a eu un impact assez fort : il y a eu davantage d’inscriptions en milieu urbain qu’en milieu rural », analyse par exemple le député Thibault Bazin dans Le Dauphiné. Autrement dit, davantage de candidats sans augmentation du nombre d’inspecteurs, cela se traduit partout par des délais à rallonge.


Deuxième piste d’explication, le net recul de la conduite accompagnée (AAC) entraîné par le « permis à 17 ans ». Cette filière est la première victime de la réforme voulue par Elisabeth Borne. Plutôt que de s’inscrire à 15 ans et de faire leur formation en conduite accompagnée, les jeunes préfèrent désormais attendre leurs 16 ans et s’inscrire directement en filière traditionnelle. Ainsi, prenons l’exemple d’un élève de 16 ans qui se serait inscrit en AAC au 1er janvier 2024. Avant la réforme, il aurait fait sa formation, serait parti en conduite accompagné et aurait passé le permis au printemps 2026 avec un taux de réussite élevé (supérieur à 70%). Avec la réforme, ce même élève aura patienté jusqu’à la mi-2024 pour s’inscrire en formation traditionnelle et passer le permis à partir du 1er janvier 2025 (avec un taux de réussite autour des 55%). On a donc plus d’élèves à présenter, plus tôt et avec des moins bons taux de réussite. Tous les ingrédients sont réunis pour un cocktail explosif !

Parallèlement, cette crise met en lumière un déficit structurel d’inspecteurs du permis de conduire. Dans de nombreux départements, les postes vacants ne sont pas pourvus et les effectifs réels d’inspecteurs sont bien en-deçà des besoins. En Côte-d’Or par exemple, on estimait fin 2024 avoir seulement « 5 inspecteurs en poste sur 10,5 équivalents nécessaires », en raison de départs à la retraite, mutations et absences longues non remplacés. De même en Saône-et-Loire, seulement 6 inspecteurs étaient en activité début 2025 (dont un en arrêt maladie prolongé). Ce manque de personnel examinateur crée des goulets d’étranglement : « il y a de moins en moins de créneaux pour passer l’examen, ce qui fait exploser les délais d’attente », résume Sylvie Mougin (UNIC).

Enfin, certains professionnels pointent des dysfonctionnements de la nouvelle plateforme nationale de réservation RdvPermis. Mise en place pour fluidifier l’attribution des places, elle n’a pas produit les effets escomptés. « On constaterait un manque de places aux examens depuis le déploiement de Rdv Permis », observe M. Belhaddad (député de la Moselle) dans une question officielle à l’Assemblée nationale. Depuis 3 ans, les règles d’attribution changent tous les mois ou presque… sans parvenir à résoudre le problème. Les dernières annonces faites au Congrès annuel de Mobilians la semaine dernière en sont un excellent exemple… nous y consacreront prochainement un article. « Rdv Permis est une usine à gaz et j’ai l’impression qu’on met des pansements sur une cocotte-minute », nous déclarait un responsable syndical, préférant garder l’anonymat.

En résumé, la demande de places d’examen a explosé alors que l’offre de place est insuffisante et les outils informatiques sont inadaptés.

Les mesures de la DSR pour réduire les délais

Pour réduire les délais d’attente du permis de conduire, le Ministère de l’Intérieur et la Délégation à la Sécurité Routière (DSR) mettent en place des mesures suivantes :

  • Recrutement accéléré de nouveaux inspecteurs : En 2023, le Gouvernement a annoncé une augmentation de 100 postes d’inspecteurs du permis de conduire (IPCSR) sur 3 ans. En 2025, une session de concours exceptionnelle a été ouverte afin de former et recruter des examinateurs supplémentaires en cours d’année. Ces augmentation couvriront à peine les départs en retraite, les démissions et les congés maladie.
  • Mobilisation des inspecteurs retraités : Pour accroître temporairement la capacité d’examen, les autorités font appel aux examinateurs déjà partis à la retraite. Un appel national aux inspecteurs retraités disposant encore d’un agrément valide a été lancé, et plusieurs volontaires ont répondu présent. Ces inspecteurs expérimentés peuvent reprendre du service sous forme de vacations : c’est déjà le cas dans plusieurs départements (Aube, Haute-Marne, Meurthe-et-Moselle, Bas-Rhin, etc.) où des retraités ont signé une convention pour effectuer des examens.
  • Sessions d’examen supplémentaires (heures supplémentaires) : Afin d’augmenter immédiatement le nombre de candidats reçus chaque semaine, un dispositif d’examens supplémentaires a été mis en place. Il permet aux inspecteurs en activité d’effectuer des examens pratiques le samedi et pendant certaines journées initialement non travaillées. Grâce à ces heures supplémentaires rémunérées, 125 550 examens pratiques supplémentaires ont pu être organisés sur l’année 2024. Ce dispositif exceptionnel est reconduit en 2025.
  • Solidarité interdépartementale (ou péréquation dans le jargon de l’administration). Elle a été mise en place en Île-de-France depuis 2 mois. Concrètement, des examinateurs disponibles dans un département moins sinistré peuvent venir temporairement renforcer un département voisin en tension. En Saône-et-Loire par exemple, dès le début 2025, des inspecteurs venus d’autres départements (tels que la Haute-Saône, les Alpes-Maritimes, l’Isère, l’Aube ou la Meuse) ont été dépêchés en renfort pour organiser des sessions d’examen supplémentaires. Cette solidarité inter-départements, encouragée par les préfectures et la DSR, vise à colmater provisoirement les déficits en attendant les recrutements pérennes. Dans une situation où l’ensemble des départements sont en tensions, elle devient inutile.

Force est de constater que ces mesures sont soit inefficaces, soit insuffisantes (voir les deux réunies). Lors de la mise en place de la réforme du permis à 17 ans, l’augmentation du nombre de candidats n’a pas été anticipée puisque la DSR ne procède pas à des études d’impact préalable avant la mise en place de réformes. L’étude d’impact sur la réforme de l’arrêté de 2009, promise par Florence Guillaume « avant l’été » ne sera vraisemblablement pas publiée dans les temps (l’été commence le 21 juin, NDLR). Par ailleurs, la DSR (comme l’ensemble des services de l’État) sont soumis à des restrictions budgétaires qui empêche de recruter davantage d’IPCSR.

Ces délais rallongés pénalisent les professionnels de l’enseignement de la conduite, ils pénalisent également les candidats qui ont besoin du permis pour travailler et qui voient le coût de leur formation augmenter. La situation est grave et aucune solution à court ou moyen terme ne semble envisagée. Dans n’importe quelle entreprise privée, les responsables de ce fiasco seraient licenciés.

Quelles solutions ?

Des mesures urgentes sont nécessaires, mais pas n’importe lesquelles ! Conduite accompagnée à 14 ans proposée par l’ECF, le recours accru aux formations sur boîte automatique défendu par Karl Raoult (vice-président du réseau CER), la mise en place d’une autorisation provisoire de conduite, etc… les solutions sont nombreuses. Il appartient aux Ministère de l’Intérieur de réunir l’ensemble des parties prenantes (organisations professionnelles, réseaux, plateformes, éditeurs, etc…) afin de réfléchir à des solutions concrètes et qui aillent dans l’intérêt de tous !


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