Ces données, issues des remontées du livret numérique, peuvent être discutées et même contestées, mais elles portent deux enseignements :
- la majorité des élèves réussissent l’examen en moins de 28 heures (8% des élèves réussissent en 20h, 36,6% en moins de 25h et 54,8% en moins de 28h). Il s’agit des chiffres en boîte automatique et boîte manuelle confondue.
- plus le nombre de leçons est faible, meilleur est le taux de réussite. Ce second enseignement est particulièrement contre-intuitif. Nous y reviendront.
Une mauvaise idée que rien ne justifie
Cette proposition est absurde pour plusieurs raisons. Nous les détaillons ci-dessous.
Raison n°1 : une question d’équité et de justice
D’un point de vue philosophique, imposer de prendre davantage de leçons à des personnes qui n’en n’ont pas besoin pour réussir est injuste, cela s’apparente à une punition collective… ou à de la vente forcée. Les auto-écoles – qui n’ont pas toujours bonne réputation auprès du grand public – risqueraient de voir leur image un peu plus écornée.
Les chiffres du Ministère révèlent que nous ne sommes pas tous égaux devant l’examen. Les « bons candidats » sont capables de réussir l’examen avec un meilleur taux de réussite, en prenant moins de leçons. En passant aux 28 heures minimum, on imposerait davantage de leçons à ceux qui ont un taux de réussite supérieur à la moyenne.
Plutôt que de viser à rendre les « bons candidats » encore meilleurs, il serait plus juste de se concentrer sur les candidats avec un niveau moins bon (ceux qui prennent 40h, 45h ou 50h) et de chercher à augmenter leur taux de réussite, inférieur ou égal à 50%, une fois qu’ils ont dépassé les 35 heures.
Raison n°2 : préserver l’individualisation des formations
Une telle mesure viendrait remettre en cause l’existence même de l’évaluation de départ. En indiquant un nombre estimé de leçons nécessaires à l’obtention du permis, cette évaluation est censée permettre de personnaliser les formations.
En rapprochant le minimum de leçons obligatoires de la moyenne de leçons effectives, cette évaluation perd une grande partie de son intérêt. Par ailleurs, l’auto-école se trouvera face à un dilemme : comment annoncer à un élève qu’il a été évalué à 24h mais qu’il devra en faire 28h ? Pour s’éviter un conflit, l’auto-école pourra être tentée de fausser l’évaluation… au détriment de l’honnêteté intellectuelle.
On entend souvent le cas des élèves qui forcent le passage. Une telle mesure n’empêchera pas l’élève qui a besoin de 35h de forcer son passage à 28h. Penser que le passage aux 28 heures permettra de régler les conflits en agence est illusoire…
Raison n°3 : des conséquences économiques non-neutres
Si elle était adoptée, cette mesure aura des effets de bord, mal mesurés. Elle aura très probablement un impact sur le marché du travail et sur les marges des écoles de conduite. Si 54,8% des élèves doivent prendre entre 1 et 8 leçons supplémentaires, les écoles de conduite devront produire chaque année plusieurs millions de leçons supplémentaires… ce qui n’est pas possible en l’état.
Dans un marché en tension, cela induira une concurrence renforcée entre auto-école pour recruter des enseignants et cela risque de tirer les salaires des enseignants vers le haut et donc réduire les marges des écoles de conduite.
Le goulet d’étranglement est aujourd’hui le manque d’inspecteurs. Faute d’enseignants pour produire les leçons, les délais de présentation pourraient s’allonger… du fait de plannings de conduite trop remplis.
Raison n°4 : dissuader les jeunes avec un permis plus cher
Dans le contexte actuel, le gouvernement cherche à faire des économies… et cela risque de passer par une réduction des dispositifs de financement du permis. Un article des Echos du 24 juillet 2025, intitulé Formation professionnelle : vers un nouveau coup de rabot sur le CPF , indiquait que le gouvernement envisageait de plafonner la prise en charge des formations au permis avec le CPF à « 700 ou 1 000 euros ».
Si on augmente le nombre minimum d’heures, le prix des formations va augmenter pour les 54,8% des candidats qui pouvaient le passer en moins de 28 heures. Un permis plus cher avec moins de financements va avoir des conséquences en corollaire : des élèves qui vont conduire sans permis (avec tous les problèmes de sécurité routière que cela engendre), davantage de candidats qui vont se tourner vers les solutions low cost et les plateformes (à 20h ou à 28h, ces dernières resteront moins chères) ou vont retarder leur formation.
Dans un marché en baisse de 7% sur les sept premiers mois de 2025 et alors que de nombreuses auto-écoles sont inquiètes pour leur trésorerie, dissuader un peu plus les élèves de s’inscrire n’apparaît pas être une idée pertinente.
Le dossier de presse du Ministre François-Noël Buffet dit la même chose, avec d’autres mots : « La hausse du seuil minimum d’heures de conduite (aujourd’hui de 20 heures en boite manuelle et de 13 heures en boite automatique) surenchérirait le coût du permis pour une part importante de candidats qui réussissent l’examen dès 20 heures de formation et en moins de 25 heures. »
Les arguments des défenseurs de la mesure
Les défenseurs de cette proposition avancent officiellement (ou officieusement) trois raisons de mettre en place les 28 heures minimum obligatoire :
- Cette mesure devrait permettre d’augmenter les taux de réussite et donc de réduire les délais d’attente. On l’a vu, les chiffres du Ministère disent l’inverse, plus le nombre d’heures est élevé, plus le taux baisse. Mettre plus d’heures aux bons candidats les rendra sûrement excellents, mais l’impact sur les taux et sur les délais reste à montrer.
- Les 28 heures permettrait de se rapprocher des taux de réussite de la conduite accompagnée (supérieurs à 70% à l’examen). Cet argument est lui-aussi erroné. Tous les enseignants savent pertinemment que le différentiel de taux de réussite réside principalement de l’expérience acquise pendant les 3000 km de l’AAC. Ce ne sont pas le rendez-vous préalable et les 2 rendez-vous pédagogiques qui permette d’augmenter ce taux de 20 points.
- Imposer quelques cours en présentiel sur les 28 heures permettait de lutter contre les plateformes. Il s’agit évidemment d’une raison officieuse. Le Ministre de l’Economie Macron, devenu Président de la République, a tout fait pour favoriser ces acteurs. On voit mal comment une mesure « discriminatoire » pour ces acteurs pourrait être adoptée.
Une proposition à contre-sens de l’Histoire ?
Les conditions de conduite ont bien évoluées depuis la mise en place des 20 heures minimum. Certes, il y a plus de circulation sur les routes, mais les véhicules sont également de plus en plus simples à conduire grâce à l’électronique et aux différents dispositifs d’aide à la conduite. La proportion de véhicules vendus en boîte automatique ne fait que progresser, elle devrait atteindre 80% pour les véhicules neufs en 2030 . Dans les 10 prochaines années, toutes les voitures pourront faire un créneau en autonomie. Sans parler des véhicules autonomes, encore au stade de l’expérimentation.
Les enseignants doivent anticiper ces changements et s’y adapter. Dans ce contexte, demander à allonger les formations est compliqué à entendre… sauf à dire que le niveau des enseignants a drastiquement baissé (ce que nous ne pensons pas, bien évidemment).
Le vrai combat à mener : celui de la marge
Imposer 28 heures de conduite minimum est une mauvaise idée : injuste pour les candidats capable de réussite en moins de 28 heures, inefficace pour réduire les délais et peu rentable pour les écoles de conduite. Que faire alors ?
Loin de nous l’idée de faire l’apologie du statu quo. D’autres propositions sont sur la table, certaines sont pertinentes et d’autres moins. Il faut regarder la situation de façon pragmatique et sans idéologie ni arrière-pensée.
Plutôt que de chercher à augmenter les volumes de leçons vendues (et donc leur chiffre d’affaires), les écoles de conduite devaient plutôt réfléchir à des mesures leur permettant d’augmenter leurs marges. Cela peut passer par des méthodes pédagogiques innovantes, une meilleure formation (initiale et continue) des enseignants, et bien d’autres choses…
Une auto-école qui vend aujourd’hui 28 leçons à 60€ (1680€) pourrait passer son tarif à 80€ la leçon, si elle parvenait à présenter l’élève en 21 heures. Aucun surcoût pour l’élève, mais pour l’auto-école une marge qui sera pratiquement doublée. La question que doit se poser chaque exploitant ne doit pas être « comment vendre plus d’heures, moins cher », mais « comment vendre moins d’heures, plus cher » !