Reprise de PermiGo : les dessous de l’affaire

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Début avril 2017, le placement en redressement judiciaire de PermiGo, l’une des quatre auto-écoles en ligne, a fait beaucoup de bruit dans le milieu de l’éducation routière et posé la question de la viabilité de ces auto-écoles low cost. À cette date, PermiGo employait 91 salariés et comptait plus de 5 500 élèves en formation. Par jugement du 11 mai 2017, le Tribunal de Commerce de Lyon se prononçait sur les offres de reprise d’actifs reçues et décidait la reprise de ces actifs par le groupe ARCAN. Au-delà de la simple liste des actifs détenus par l’entreprise, le jugement nous éclaire également sur l’identité et l’état de santé financière des candidats à la reprise.

 

Premier constat, les principaux concurrents de PermiGo se sont tous positionnés en vue de reprendre tout ou partie des actifs de la start-up lyonnaise. Pour ce faire, et afin de défendre leur dossier, ces entreprises ont été contraintes de dévoiler des éléments financiers sur lesquels ils ne communiquent pas en général.

 

Présentation des offres et des candidats

1) Ornikar

La plus ancienne (et plus médiatique) auto-école en ligne a proposé un prix s’élevant à 50 000 € pour reprendre l’intégralité des actifs. En revanche, la start-up nantaise ne proposait dans son offre de reprendre que 3 salariés sur 91 (les moniteurs se voyant proposer des contrats d’indépendants… alors même que le gouvernement a récemment décidé de lutter contre ces pratiques). En ce qui  concerne les formations des 5 500 élèves, Ornikar n’a pas proposé d’honorer les contrats de formation de PermiGo mais s’est engagé à fournir, aux élèves déjà inscrits, les prestations à des tarifs préférentiels.

 

Par ailleurs, leurs comptes présentés par l’entreprise font ressortir qu’Ornikar a perdu plus de 2 millions d’euros sur la période 2015-2017, dont une perte prévisionnelle de 725 000 € sur 2017… perte qui est attribuée aux frais juridiques et aux frais de lobbying auprès des pouvoirs publiques. Enfin, Ornikar indique qu’une prochaine levée de fonds de 700 000 € sera effectuée auprès de leurs investisseurs historiques.

2) Allo Moniteur

Allo Moniteur est une auto-école basée dans le département du Val-de-Marne (94) en région parisienne. L’entreprise a proposé un montant de 2€ pour la reprise des actifs. L’auto-école prévoyait de prendre 24 emplois sur les 91 existants, de fournir gratuitement la formation au code de la route et de dispenser les heures de conduite à un tarif préférentiel compris entre « 20 et 25 euros de l’heure». Son offre n’a pas été considérée comme sérieuse par la Tribunal de Commerce de Lyon.

3) En voiture Simone!

En Voiture Simone! (EVS), auto-école en ligne qui possède un établissement à Paris, a déposé une offre proposant de reprendre les actifs pour un montant de 14 500 euros et 1 seul salarié sur les 91. Aujourd’hui, En Voiture Simone! revendiquent 30 000 élèves pour la formation au code de la route, mais ces chiffres sont invérifiables. En ce qui concerne les contrats de formation, EVS a proposé d’honorer les formations au code de la route mais pas les formations à la conduite.

4) Auto-ecole.net

Auto-ecole.net, dont le modèle mixte (auto-école en ligne avec un établissement dans chaque département) se rapproche le plus de celui de PermiGo, a déposé une offre partielle d’un montant de 10 000 € dans le but de reprendre uniquement Codiko, la plateforme d’apprentissage du code de la route développée par PermiGo. Auto-ecole.net a connu un développement rapide grâce aux 3 millions d’euros levés auprès du fond d’investissement Calcium Capital. Par ailleurs, l’entreprise indique disposer de 800 000 euros de trésorerie fin mars 2017, laissant entendre qu’Auto-ecole.net avait déjà dépensé 2,2 millions d’euros en moins de deux ans! L’offre d’Auto-ecole.net ne prévoyait pas de reprendre les salariés, mais proposait d’honorer la formation au code de la route des élèves déjà inscrits.

 

Ces offres, relativement faibles du point de vue financier (à l’exception de Ornikar), n’ont pas été retenues par le Tribunal car elles étaient désavantageuses soit pour les salariés, soit pour les milliers d’élèves sous contrats… dont le montant cumulé des contrats de formations s’élevait à plus de 2 millions d’euros. Aussi, le Tribunal de Commerce de Lyon s’est prononcé en faveur de l’offre de reprise déposée par le groupe Arcan, un acteur nouveau dans le secteur de l’apprentissage de la conduite.

Le gagnant Arcan : un nouveau venu dans le cercle des auto-écoles en ligne

L’offre déposée par le groupe Arcan proposait de reprendre l’intégralité des actifs pour un montant de 11 000 € (le jugement relate l’anecdote suivante : n’ayant à présenter qu’un chèque de banque de 10 000€, les représentants ont proposer au juge de lui remettre les 1 000€ manquants en espèces, ce qui a été refusé). Cette offre a été retenue car elle était la meilleure à la fois pour les salariés et pour les élèves. En effet, Arcan proposait de reprendre 59 salariés sur les 91 mais également d’effectuer les formations de l’intégralité des élèves, à condition que ceux-ci décident de se manifester pendant la durée de validité de leur contrat.

 

Le groupe Arcan est un nouveau venu dans l’enseignement de la conduite. Il s’agit de la holding personnelle de Monsieur M. Ronan Le Boullaire, homme d’affaires ayant fait fortune dans le secteur des crèches interentreprises. Le groupe Arcan a récemment fait l’acquisition d’une auto-école en Seine-et-Marne (77) et a lancé une auto-école en ligne sous le nom de labonneallure.fr.

Quels enseignements tirer de ce jugement?

Le jugement du 11 mai 2017 est riche en enseignements. Face aux difficultés financières de la quasi-totalités des candidats à la reprise, force est de constater que le modèle économique des auto-écoles en ligne n’est pas rentable. En tirant les prix vers le bas, ces auto-écoles attirent un grand nombre d’élèves en très peu de temps et connaissent une croissance rapide. Elles se trouvent néanmoins confrontées à d’importantes difficultés au moment d’honorer les prestations vendues… faute d’enseignants pour les dispenser. Par ailleurs, ces entreprises doivent supporter des frais de structure importants que leurs faibles marges ne peuvent couvrir.
Deuxième leçon, l’intérêt manifesté par les principaux concurrents de PermiGo va dans le sens d’une consolidation dans le secteur. Face à des marges très faibles, les acteurs cherchent à atteindre une taille critique où l’important volume d’heures dispensées leur permettra d’atteindre la rentabilité.
Avec la cession de PermiGo, un nouvel acteur apparaît dans le paysage des auto-écoles en ligne, mais la question fondamentale de la pérennité du modèle économique de ces plateformes internet reste entière. Aussi, il est possible que d’autres plateformes de mise en relation entre les élèves et des moniteurs indépendants connaissent d’importantes difficultés financières dans les mois à venir.

2 Commentaires

  1. La pérennité de ces entreprises dépendra de combien elles sont prêtes à miser et pendant combien de temps elles estimeront pouvoir perdre de l’argent en attendant que les entreprises traditionnelles sérieuses et soucieuses de la sécurité routière s’écroulent faute de moyens financiers pour résister. Si ce scénario se réalise, il ne restera plus qu’à augmenter les prix au fil du temps, et c’est le jackpot.
    Il faudra aussi que l’état leur facilite la tâche en externalisant l’épreuve pratique comme ça vient déjà d’être fait pour l’épreuve théorique. Pas de formation sérieuse, pas de résultats. Pas de résultats, des délais d’attente inacceptable voire à terme, impossibilité de représenter les candidats.
    Voilà comment l’on peut mettre à bas toute une profession, détruire des milliers de familles (et oui derrière chaque entreprise il y a l’humain) afin de gagner encore plus d’argent, dans le plus profond mépris de la sécurité routière.
    Quelques auto-école traditionnelles résisteront sans doute, car j’ose espérer qu’une certaine proportion de parents continueront à privilégier la sécurité de leurs enfants. Mais malgré tout, ils se retrouveront sur la route avec les autres. Nous nous retrouverons sur la route avec les autres….
    Enfin, ceci n’est que mon humble avis…
    Isabelle

    • Bonjour Isabelle,

      Merci pour votre commentaire, vous résumez bien la situation! Chez PermisMag [magasine édité par VroomVroom.fr] nous avons toujours pensé que l’avenir de la profession ne pouvait passer que par les auto-écoles traditionnelles qui font, dans leur immense majorité, un travail remarquable en matière de formation à la conduite et de sensibilisation à la sécurité routière.

      Aussi, nous incitons ces auto-écoles traditionnelles à répondre à l’apparition des plateformes sur internet en se digitalisant et en prenant le virage du numérique. La société évolue et les modes de consommation également. Les élèves d’aujourd’hui ne « consomment » plus comme il y a 10 ans. Ils sont ultra-connectés, se renseignent sur internet avant de s’inscrire, souhaitent avoir le maximum de liberté et de flexibilité dans leur apprentissage (apprentissage du code en ligne, réservation des heures de conduite sur internet… sans avoir à se déplacer physiquement en agence).

      Il est difficile de dire de quoi l’avenir sera fait mais une chose est sure, les établissements qui prennent dès à présent la mesure de ce changement seront le plus susceptibles de faire la différence dans les mois et les années à venir.

      Bonne continuation,

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