Depuis le début de l’année, Ornikar et En Voiture Simone passent à la vitesse supérieure dans leur communication à destination des élèves… et, plus récemment, à destination des enseignants de la conduite. Face à l’afflux d’élèves attirés par les tarifs low cost avancés comme seul argument commercial, ces entreprises se doivent impérativement de trouver des enseignants en nombre, sous peine de créer de nombreux élèves mécontents (faute de place sur les plannings).
Aussi, ces deux entreprises ont mis en place des opérations de communication dans lesquelles elles vantent l’attractivité des partenariats qu’elles proposent aux professionnels. Par le biais de ces opérations, les auto-écoles en ligne visent à attirer certains enseignants, en leur faisant croire qu’ils bénéficieraient d’un salaire supérieur à celui que peuvent leur offrir les auto-écoles de proximité. Décryptage.
Des calculs biaisés
Les salaires promis par Ornikar sont à la fois irréalistes et trompeurs. Ces calculs sont irréalistes car ils ne prennent pas en compte (ou minorent) certains éléments de charges. Ils partent du postulat que l’enseignant ne prend pas de congés, qu’il n’est jamais malade ou retenu par des obligations familiales.

Ils ne prennent pas en compte les aléas inhérents à l’activité d’enseignant de la conduite, tels que les accidents et les pannes, qui impliquent une immobilisation du véhicule. Ils ne prennent pas en compte les aléas climatiques (le verglas notamment) qui rendent nécessaire l’annulation des leçons. Certains frais (parfois importants) liés à la restitution du véhicule ne sont pas pris en compte.
Ils impliquent un planning rempli à 100%, tous les jours de l’année. Aucune auto-école en France ne peut se vanter de ce taux de remplissage. Ils impliquent également une amplitude horaire très importante, au détriment de la vie personnelle de l’enseignant. Un salarié a un emploi du temps fixe et défini à l’avance, deux jours de repos consécutifs par semaine, les leçons décommandées sont rémunérées… Un enseignant auto-entrepreneur doit être disponible du lundi matin au samedi soir pour effectuer le même volume de leçons.
Ces chiffres ne prennent pas en compte le temps passé pour l’accompagnement des élèves à l’examen pratique, souvent supérieur à une heure en région parisienne (les convocations des candidats libres n’étant pas regroupées comme c’est le cas pour les auto-écoles traditionnelles).
Enfin ces chiffres sont trompeurs car le salaire mis en avant tient compte de l’ACCRE (Aide à la création ou à la reprise d’entreprise). Cette aide – qui consiste en exonération ou réduction de cotisations sociales – est passagère et dégressive (3 ans maximum). Par ailleurs, les exonérations disparaissent dès lors que les revenus dépassent 40 524 € (soit 135 heures par mois, à 25€/heure).

Ornikar est tellement conscient que les chiffres présentés ne correspondent pas à la réalité que l’entreprise s’est sentie obligée de préciser sur son site :
« Ce prévisionnel est non-contractuel, il est destiné à vous aider à comprendre votre activité et votre rémunération en tant qu’enseignant indépendant auto-entrepreneur. Il présente l’activité avec et sans l’ACCRE. »
Un salaire moins attractif qu’il n’y paraît
Afin de déterminer si les salaires vantés par les auto-écoles en ligne étaient à ce point attractifs, nous avons établi un tableau comparatif, en calculant le salaire d’un enseignant disposant du TP ECSR selon qu’il soit salarié au salaire minimum, salarié au salaire moyen ou auto-entrepreneur pour le compte d’une plateforme.

Il ressort de cette comparaison que si l’on retire les exonérations de charges temporaires et que l’on prend en compte les charges réelles, le salaire d’un enseignant auto-entrepreneur est inférieur au salaire moyen d’un enseignant salarié. Si l’on prend en compte les aléas décrits précédemment, le salaire d’un enseignant d’Ornikar ou d’En Voiture Simone tendra, à terme, vers le salaire minimum d’un salarié.
En 2015 déjà, la Tribune des auto-écoles avait réalisé des calculs dont le résultat est relativement proche.
Aux considérations purement financières s’ajoutent le fait que l’enseignant auto-entrepreneur bénéficie de protections bien moins importantes et qu’ils sont soumis à des formalités qui devront être effectuées sur leur temps libre. Enfin, il est nécessaire de prendre en compte que le régime de retraite des auto-entrepreneurs est moins favorable que celui des salariés et que ceux-ci ont plus de difficultés à contracter des prêts (immobiliers notamment) auprès des banques.
Moniteur Ornikar = futur smicard?
Autre phénomène à souligner : plus le nombre d’enseignants sera important sur ces plateformes, plus le risque que les salaires baissent est important. En effet, si les disponibilités des enseignants travaillant sur ces plateformes venaient à excéder la demande en leçons de conduite, alors la tentation serait forte pour les plateformes de faire jouer la concurrence entre auto-entrepreneurs (et de tirer les rémunérations vers le bas). Des phénomènes similaires ont été constatés sur les plateformes de réservation de VTC, ainsi que sur celles de livraison de repas. Ce phénomène a été documenté dans de nombreux articles (ici, ici ou encore ici), mais surtout dans le rapport remis par Jacques Rapoport en 2017 (voir plus bas).
Les belles promesses d’aujourd’hui pourraient se transformer demain en désillusions et en précarité…
