Nous vous en parlions la semaine dernière, la formation au code de la route dans le cadre du SNU semble désormais actée. Une réunion se tenait mardi dernier au Ministère de l’Intérieur en présence des organisations professionnelles et des éditeurs de contenus pédagogiques. Cette réunion a été l’occasion d’en apprendre davantage sur ce qu’envisage la DSR au sujet de ce module « code de la route ». Il ressort de cette réunion une impréparation et méconnaissance de la pédagogie, qui risquent de coûter cher aux finances publiques et d’avoir un effet limité. Nous faisons le point.
À deux mois du lancement de l’expérimentation dans 13 départements pilotes, le temps presse pour finaliser le déroulement du SNU. Pour mémoire, une expérimentation aura lieu en juin 2019 auprès de 2 000 jeunes de 16 ans, tous volontaires, réunis au cours d’un « séjour de cohésion » d’une durée de 15 jours qui se déroulera en dehors de leur département d’origine. Ces élèves seront accueillis dans des lycées, casernes ou autres bâtiments administratifs susceptibles d’accueillir du public. Le SNU sera ensuite généralisé à toute une classe d’âge en 2022-2023.
Une « formation » au code baclée
Initialement fixée à deux jours, la « formation » au code de la route se déroulera finalement sur une journée de 8 heures, dont la moitié sera dédiée à un module de sensibilisation à la sécurité routière. Elle se déroulera par groupes de 30 élèves. En voici le programme détaillé.
Sensibilisation à la sécurité routière (4 heures)
- Interventions orales réalisées par des pompiers, policiers, agents de la protection civile.
- Étude de cas autour d’un accident (30-40 minutes).
Formation au code de la route (4 heures)
- Explication du déroulement de l’examen (30 minutes) ;
- Cours de code de la route (3 heures).
- Bilan (20 minutes).
À l’issue de cette journée, les jeunes recevront un accès internet pour pouvoir continuer leur apprentissage (par eux-mêmes) sur une plateforme de révision, ainsi qu’un ticket leur donnant droit de passer l’examen dans le centre de leur choix.
Une expérimentation biaisée et irréaliste
Si l’on met de côté les 4 heures de sensibilisation à la sécurité routière, la formation au code de la route se fera sur 3 heures. Il sera matériellement impossible pour l’enseignant de passer en revue tous les thèmes du code de la route. Il sera également impossible pour les élèves de les assimiler.
Tous les professionnels le savent, l’apprentissage du code de la route prend entre quelques jours (pour les plus motivés) et quelques semaines. Ces 3 heures, seront donc davantage un « module de découverte » qu’une véritable formation.
Par ailleurs, l’expérimentation du SNU semble biaisée et ses résultats devront être regardés avec précaution. Ces jeunes volontaires, très motivés par l’expériences, ne seront probablement pas représentatifs de l’ensemble des futurs 15-25 ans qui se verront obligés d’effectuer ce séjour de 15 jours pendant les vacances scolaires.
Une hérésie en termes de pédagogie…
À l’issue du SNU, les jeunes vont donc se retrouver livrés à eux mêmes avec des accès internet valables un an et un ticket pour passer l’examen. Seule une infime partie d’élèves sur-motivés (et ayant des facilités) pourra obtenir son code de la route dans ces conditions. Pour l’immense majorité, ces avantages offerts seront peu ou mal utilisés et risquent de se traduire, le plus souvent par des échecs à l’ETG.
Pour les organisations professionnelles, cette mesure risque de faire baisser le nombre de formations en conduite accompagnée. En faisant croire aux jeunes (et à leurs parents) que le code leur serait « offert » pendant le SNU, nombre d’entre eux préféreront attendre le SNU (vers 16 ans) plutôt que d’opter pour l’AAC (dès 15 ans). Alors même qu’il est établi que les élèves optant pour l’AAC ont un taux de réussite supérieur à la moyenne et effectuent moins d’heures de conduite en auto-école.
Comme le résume, Lorenzo Lefebvre (élu au comité directeur du CNPA ESR) dans un article récent paru sur le blog de Mediapart : « Ce nouveau parcours de formation dissocie totalement la théorie de la pratique, et va l’inverse de toutes les théories de l’apprentissage. »
… et un gouffre financier pour l’État
En finançant un dispositif mal pensé, l’État va dépenser des sommes importantes pour des résultats limités. Côté dépenses, l’État devra payer :
- Les intervenants sur le module Sécurité routière ;
- Les enseignants de la conduite sur le module Code de la route ;
- Les accès internet ;
- Les tickets examen, fournis aux élèves.
Les enseignants de la conduite intervenant dans le cadre du SNU seront choisis au sein d’auto-école labellisées. Des appels d’offre seront passés localement. L’intérêt financier pour les écoles de conduite devrait être limité dans la mesure où, les auto-écoles devront tirer leurs tarifs vers le bas pour être retenues. Par ailleurs, les « séjours de cohésion » se déroulant dans un autre département que celui du lieu de résidence des élèves, les auto-écoles ne pourront donc pas espérer inscrire ces élèves pour la formation pratique.
La fourniture des accès internet relèvera d’appels d’offre qui devraient se faire au niveau départemental. La DSR souhaite associer les auto-écoles en ligne disposant de leur propre contenu pédagogique à ces appels d’offre. Dans ces conditions, il apparaît indispensable que :
- la plateforme de révision du code de la route soit détenue et gérée par l’État ;
- les sociétés remportant les appels d’offre aient interdiction d’en faire mention ;
- ces mêmes sociétés n’aient pas accès aux données personnelles des élèves (ou que celles-ci soient anonymisées).
Si ces conditions n’étaient pas strictement remplies, les données personnelles des élèves pourraient être réutilisées à des fins commerciales. Cela constituerait une entorse grave à la concurrence entre auto-écoles.
En ce qui concerne les tickets examen, il se pourrait là aussi que les sommes dépensées n’aient que peu de résultats. Lorenzo Lefebvre ajoute : « la majorité des jeunes qui prévoient de passer le permis de conduire, par le parcours classique, à 18 ans, vont, soit ne pas passer l’examen alors que le contribuable aura financé leur formation, soit passer l’examen mais devoir participer a plus d’heures de conduite afin de travailler les règles du code de la route apprises deux ans auparavant (les heures de conduite coûtent beaucoup plus que les heures de théorie), soit tenter le passage de l’examen sans s’assurer d’avoir le niveau, ils miseront sur la chance pour profiter de ce cadeau gracieusement distribué et échoueront logiquement. »
Au final, la promesse gouvernementale de faire passer le code de la route pendant le Service national universel semble avant tout dictée par des visées électorale. Cette mesure ne permettra ni de former efficacement les élèves au code de la route ni même de faire baisser le prix de la formation au permis de conduire. Elle se traduira par un surcoût pour les finances publiques… et donc pour l’ensemble des citoyens.