En début de semaine, Edwige Roux-Morizot – procureur de la République de Mulhouse – annonçait lors d’une conférence de presse le démantèlement d’un réseau ayant permis à une centaine de candidats d’obtenir frauduleusement leur examen du code de la route. Si ce cas est exceptionnel par son ampleur, la fraude à l’ETG semble prendre une ampleur inédite depuis plusieurs mois.
Le réseau alsacien
Entre 2016 à 2018, une centaine de personnes, originaires de toute la France, sont venues – grâce au bouche-à-oreille – s’inscrire à l’auto-école Franklin de Mulhouse pour passer le Code de la route. Le gérant de l’auto-école, son père, ainsi que le responsable du centre de contrôle technique Sécuritest SGS Rixheim, avaient monté un système infaillible. Ils promettaient au candidats de réussir à l’examen en échange du paiement de 1500 euros en espèces.
Les trois hommes ont été mis en examen pour escroquerie en bande organisée, corruption active et complicité de corruption active, corruption passive et blanchiment d’escroquerie en bande organisée. Le centre d’examen a été fermé et la centaine de candidats ayant fraudés se sont vus retirer leur permis de conduire.
La triche a toujours existé
Disons-le tout de suite, la triche a toujours existé! Qu’il s’agisse de la simple « entraide » gratuite entre candidats, assis côte à côte dans des salles pas toujours aux normes,… à des dispositifs bien plus élaborés, impliquant le paiement de sommes importantes!
Oreillettes, dispositifs vibrants, téléphones portables, signaux visuels ou sonores effectués par un enseignant présent lors de l’examen, corruption active ou passive de l’inspecteur… Les plus anciens dans le métier se souviennent forcément des affaires de triche à l’examen de code qui étaient rendues publiques chaque année (ou presque).
La triche était alors rendue possible (1) par le fait que les questions étaient les mêmes pour tout le monde et (2) étant donné que les résultats étaient parfois entrés manuellement dans les systèmes informatiques du Ministère par les inspecteurs en fin de session.
À Salanques (66) en 2008, à Givors (69) en 2016, à Créteil en 2017, ou en région PACA en 2018… les cas sont nombreux! Ils sont la plus part du temps le fait de gérants (et de leur entourage) qui, par cupidité et appât du gain, ont organisé la fraude.
La fraude a pris des formes nouvelles
La privatisation et la réforme des modalités d’examen de l’ETG en 2016 ont compliqué (voir rendu impossible) les techniques de fraude anciennes. Les auto-écoles n’accompagnent plus (ou très peu) leurs élèves à l’examen du code, la corruption des inspecteurs est devenue plus compliquée (le cas alsacien en est un contre-exemple). Les examens sont individuels, chaque élève reçoit des questions différentes, tirées au sort. L’élève passe l’examen avec un casque audio, ce qui l’isole phoniquement du reste de la salle d’examen… un candidat ne peut plus transmettre les bonnes réponses à d’autres personnes passant l’examen en même temps que lui.
Ceci dit, les fraudeurs étant imaginatifs, de nouvelles techniques de fraude ont été mises en place.
Démarchage sur les réseaux sociaux
La fraude commence sur internet afin de trouver des « clients » susceptibles de payer plusieurs centaines d’euros en espèces pour obtenir leur code de la route…. Les organisateurs des réseaux espérant ensuite qu’un bouche-à-oreille se mette en place. Les cibles visées sont multiples: personnes étrangères maîtrisant mal la langue, personnes illettrées, célébrités de la chanson ou du sport ne souhaitant pas « perdre de temps » à apprendre le code de la route…
Pour attirer ces « clients », des rabatteurs s’activent sur les réseaux sociaux. Sur Snapchat, Instagram ou Facebook, ils proposent – sans détour – d’acheter la réussite à l’examen.


Les nouvelles techniques de fraude
De nouvelles techniques de fraude, différentes, mais relativement simples, sont apparues.
La première technique consiste à vendre au candidat un faux résultat. Les faux sont réalisés sur des logiciels de retouche d’image – type Photoshop – ou parfois même sur un fichier Word. Cette technique est grossière et les faux sont parfois de très mauvaise facture ou il comportent des informations qui, en soi, permettent de les distinguer (date d’examen dans le futur, résultat « Favorable » avec une note de 34/40, etc…).

La seconde, plus risquée, consiste à faire passer l’examen par une personne autre que le candidat. Le responsable du centre d’examen peut être complice et fermer les yeux lors du contrôle de la pièce d’identité ou alors être de bonne foi et ne pas distinguer l’imposture. Un article de La Tribune des Auto-écoles de mai 2019 intitulé Examen théorique : peut-on lutter contre la fraude? évoquait le problème.
La Poste, SGS, Code’n Go, Dekra et Pointcode, tous les opérateurs privés sont touchés par ces fraudes. Le responsable d’un centre que nous avons pu joindre nous a indiqué « dans les deux semaines qui ont suivi l’ouverture [du centre d’examen, ndlr] nous avons été contacté par 2-3 personnes louches qui nous ont proposé de « travailler » avec eux ».
Du côté des auto-écoles, les témoignages sont légions : entre les élèves ne parlant pas français et venant se présenter au bureau avec un résultat de 39/40, ceux qui effectuent 250 kilomètres pour passer le code dans un centre d’examen bien spécifiques, ceux qui se présentent avec un résultat favorable mais qui ne savent pas faire la différence entre un feu rouge et un STOP…

La DSR essaye de lutter contre la fraude
Dans l’article cité précédemment, Emmanuel Barbe – délégué interministériel à la sécurité routière – reconnaît être conscient du problème de la fraude et travailler avec les opérateurs agréés.
Pour lutter contre la fraude, la DSR a mis en place Polex, la contraction de « POLice des EXamens », une start-up d’État à l’image de Candilib. Comme indiqué sur le site beta.gouv.fr, Polex a construit un outil chargé de détecter les anomalies sur les résultats du code de la route, croiser les données et faire remonter des alertes.

Malgré les moyens moyens mis en œuvre, le phénomène de fraude à l’examen du code de la route semble loin d’être endigué. L’affaire de Mulhouse et la centaine de permis invalidés ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Cette fraude est généralisée, elle concerne l’ensemble des départements et des opérateurs, et pourrait représenter plusieurs milliers de cas par an. Le Ministère de l’Intérieur ne communique pas de chiffres à ce sujet.
Des solutions existent pour mieux contrôler l’identité des élèves (contrôles biométriques, prises de photos pendant l’examen, etc), mais elles sont coûteuses à déployer et nécessiterait que le problème soit pris au sérieux.